Les arpentages

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Fichiers et médias
Date de création
Nov 30, 2022 03:29 PM
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À quel point la rencontre peut-elle être ressourçante?

🪟
Il s’agit ici d’une initiative née pendant le confinement…
À l’heure où nous ne pouvions plus nous voir, nous toucher, où sortir de chez soi était un calvaire…
À cette époque, je suis confiné dans un quartier que j’aime beaucoup à Lyon, la Duchère. Voilà que je me retrouve H24 avec des personnes - mes colocataires¹ - avec qui je ne partage pas les mêmes valeurs… et avec qui je n’aurais jamais imaginé ni voulu passer autant de temps!
Très vite, j’aspire à vivre autre chose : à être dans un autre rapport à d’autres, où il y a plus de communication et notamment le partage de centres d’intérêt : comme la lecture et l’intelligence collective.
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Cet article est consacré aux arpentages - un outil d’éducation populaire. Mais arpentage, de quoi s’agit-il? Voilà déjà son histoire.
Il s’agit d’une méthode de lecture issue de la culture ouvrière. Celle-ci a été réemployée pendant la Résistance par les praticiens de l’entraînement mental et a été diffusée par le mouvement Peuple et Culture - un réseau d’associations d’éducation populaire, ayant pour objectif de “rendre la culture au peuple et le peuple à la culture”. La lecture se fait de manière collective en se répartissant les parties à lire au sein d’un groupe : il peut s’agir d’un ouvrage, d’un article, d’une brochure, d’un corpus de textes thématiques… Traditionnellement, l’on coupe littéralement l’objet afin de le distribuer en autant de sous-groupes ou de personnes en présence.
C’est en 2014, la première fois que j’entends parler d’arpentage. Je suis alors en études à Nanterre, mais je passe complètement à côté! Puis c’est en vadrouillant dans les réseaux à Lyon et en me rapprochant du CREFAD Lyon que j’ai l’opportunité pour la première fois d’en faire un.
Quand nous nous sommes lancés, avec deux ami-e-s, Jordan Ominetti et Manon Radicchi, cela était assez expérimental, car nous n’avions jusque-là quasiment pas d’expérience en la matière.
 

📕 Quand arpentage et histoire personnelle s’imbriquent

À cette époque du confinement généralisé (1er confinement) nous avons fait le choix d’un premier livre, Chez soi, de Mona Chollet. Bien sûr, cela résonnait particulièrement!!
Dans ce livre est abordé plusieurs thèmes qui faisaient fortement écho à ce que nous vivions. (Dérouler le menu pour en savoir plus! tadam!)
  • le numérique omniprésent
“Vous pouvez bien chasser le monde par la porte, il revient par la fenêtre scintillante de votre bureau”. Chapitre 2, De l’inanité des portes à l’ère d’internet
  • le mal-logement et l’injustice Avec quelques données choc, comme le nombre de SDF, le pourcentage d’augmentation des loyers en 30 ans… Chapitre 3 : La grande expulsion. Pour habiter, il faut… de l’espace
  • une société aux visages antagonistes Des riches qui rêvent de tiny house, des millions de pauvre qui subissent la promiscuité de leurs logements et des villes. Chapitre 3 : La grande expulsion. Pour habiter, il faut… de l’espace
  • la relation à soi-même et au temps
L’autrice invite son lecteur-rice à la conscientisation de l’utilisation de son temps, ainsi que sur le sentiment de légitimité à utiliser son temps librement. Chapitre 4, À la recherche des heures célestes
  • le genre comme lieu d’inégalités, à commencer par… les tâches ménagères
Mona Chollet nous dit : autant vivre séparément, c’est tout de suite plus simple! Selon l'INSEE, les femmes passaient en 2010 deux fois plus de temps par jour aux tâches domestiques que les hommes. Chapitre 5, Métamorphoses de la boniche. La patate chaude du ménage
  • la responsabilité des architectes, l’habitat collectif, l’agriculture urbaine… Tant d’idées créatives à notre portée pour repenser et remoduler nos villes et nos manières d’habiter. —> Chapitre 6, Des palais pleins la tête. Imaginer la maison idéale.
 
Autant de thématiques qui pouvaient faire, plus ou moins fortement, échos à nos vécus!
 

📕 Comment nous avons poursuivi nos lectures

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Et encore
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’entraide, l’autre loi de la jungle
Red shoes de Christine Aventin (pièce de théâtre) sur la notion de genre, les normes de genre, les désirs, les identités
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Au bonheur des morts de Vinciane Despret
Utopies réalistes de Rutger Bregman
 

🎯 Les objectifs généraux de l’arpentage

Les arpentages ont été pour moi une belle expérience, enrichissante. Avec le temps, nous avons commencé à poncer l’outil, en explorant différentes approches de l’arpentage et différents formats associés. Mais d’abord, commençons par récapituler les objectifs!

—> un arpentage, un outil au service de quoi? Pourquoi proposer une lecture collective? Que veut-on atteindre?

Désacraliser l’objet LIVRE en popularisant l’acte de lecture
Certains livres peuvent nous sembler inaccessibles individuellement : trop scientifiques, ou ésotériques, style trop lourd, trop long (trop de pages), trop peu de plaisir éprouvé à la lecture…. Par ailleurs, le livre est souvent assimilé au scolaire ou à l’universitaire… incontournable de nos études, il peut avoir laissé quelques stigmates et rebuter parfois ! Par une lecture collective, chaque personne traverse un processus à la fois de lecture et également d’expression de son ressenti et/ou de sa compréhension, quelle que soit sa situation sociale, son rapport à la lecture, son parcours d’études…
Vivre une expérience de coopération en groupe
Coopérer, c’est faire les choses ensemble, les construire ensemble, les ressentir ensemble, c’est avoir un objectif commun de manière à pouvoir travailler ensemble librement Trucs et astuces pour impulser de la coopération… ou comment instiller l’intelligence collective dans un groupe, association Outils Réseaux
La coopération demande donc principalement : de l’écoute, de l’ouverture, de l’ambiguïté et une organisation qui ne soit pas parfaite, afin de redonner place aux individus, leur permettre d’être acteurs dans des systèmes sur lesquels ils ont prise.
Créer une culture commune autour d’un sujet en favorisant l’esprit critique des personnes
L’arpentage est un espace approprié pour nous questionner, débattre, être critique vis-à-vis des idées de l’auteur ou de l’autrice. L’arpentage permet alors la remise en question de nos idées, ainsi que de déconstruire nos préjugés. C’est aussi un espace d’élaboration et de construction personnelle, puisqu’il permet à chacun et chacune d’affirmer ses idées.
 

🎨 Les différents formats

Pour construire un format d’arpentage, voilà ci-dessous les différentes questions à se poser. Ces questions permettent d’imaginer et de prendre appui sur diverses approches.
Plein de types d’arpentages sont possibles : numérique, itinérant, qui donne lieu à une lecture intégrale d’un livre important, constitué d’un corpus de divers textes… Les options sont multiples! Le tout est de trouver quelque chose qui corresponde à nos besoins.
Les durées également peuvent varier : une exploration intégrant une trame d’animation plus globale et s’appuyant sur des extraits de texte peut demander 30min de temps. Ou partir sur un atelier spécifiquement “arpentage”, d’une durée de 2H, d’une demi-journée, voire d’une journée entière… De même, la durée de lecture est variable aussi, entre 20min à 1H de lecture.
 
Est-ce que l’on veut que les personnes s’instruisent? maîtrisent des concepts, du vocabulaire spécifique?
—> L’approche littérale du livre et de son contenu
Dans ce genre d’arpentages, il est important que les participant-e-s atteignent un degré maximal de maîtrise du contenu du livre, en développant une compréhension fine du texte. Il s’agit de prendre connaissance de la pensée de l’auteur-rice, de saisir les concepts en présence, de relever le vocabulaire spécifique…
 
Est-ce que l’on veut que les personnes débattent? confrontent leurs idées? s’affirment et prennent position?
—> Une mise en débat d’idées
Ces arpentages vont permettre de créer de la discussion et plus encore du débat, de générer de la divergence d’opinions. L’enjeu est alors de confronter les points de vue, les idées, afin de permettre aux personnes de développer des argumentaires, de se positionner et de s’affirmer.
 
Est-ce que l’on veut que les personnes se rencontrent profondément? (en poussant cette idée à son paroxysme, ce ne sont plus les idées qui comptent mais les personnes, ce n’est plus la confrontation, mais l’amitié, pourrais-je dire)
—> Une approche au service de l’interconnaissance et de la pluralité
Là, ce qui compte c’est que les personnes partagent. Que les personnes fassent amplement connaissance et se rapprochent, que les échanges puissent donner lieu à de véritables rencontres. Dans les échanges, l’on œuvre à faire émerger une écoute profonde de ce qui se dit, afin que les personnes s’enrichissent de points de vue.
 
Est-ce que l’on veut que les personnes trouvent des solutions concrètes? développent leur créativité et leurs compétences à résoudre des problèmes de société?
—> Répondre aux enjeux et défis de société
La finalité, est qu’ensemble, les personnes, en prenant appui sur leurs lectures, fassent preuve de créativité et de sagacité et accouchent de nouvelles idées… Ceci afin de répondre aux enjeux actuels et, accessoirement de sauver le monde! 😁 Cela peut se faire grâce à l’émergence d’intelligence collective, grâce au croisement de points de vue de figures et de rôles (expert, citoyen, etc.) ou en faisant appel à des processus favorisant l’émergence de paroles et d’engagements citoyens.
 

Des enjeux particuliers autour de la restitution

Lors des arpentages, il y a un moment qui peut être complexe à passer : celui de la restitution. En fonction des groupes ou des personnes, cela demande d’être adapté ou repensé, car il comporte des enjeux qui peuvent générer de la difficulté : s’exprimer devant une audience, retransmettre des échanges oraux et de paroles exprimées par d’autres, rendre compte de sa propre lecture et de contenus théoriques…
L’expérience m’a permis de comprendre que cela demandait des compétences et des savoir-être particuliers. Cela demande de la confiance dans le groupe, de la confiance et de l’assurance en soi, de l’envie d’oser s’exprimer quand la prise de paroles est parfois un challenge… Et d’autres encore!
Pourtant, la restitution est un moment important, mais il est possible de faire varier deux éléments :
  • Une restitution auprès d’un grand groupe ou à faire plutôt en petits groupes.
  • Le format de la restitution : en s’appuyant sur un support écrit, co-produit par le groupe, par exemple, en produisant une carte mentale, en étant libre d’inventer sa propre manière de restituer (en chantant, en se déplaçant dans l’espace, en créant une chorée, etc.)
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La restitution est un moment important car il permet de partager nos lectures et nos avancées.
Cela est aussi une belle occasion je trouve de réactiver nos mémoires, d’aller retrouver des informations essentielles, de répéter des choses qui ont déjà pu être dites et donc de faciliter le travail de mémorisation. Quand l’on explique quelque chose à quelqu’un, tous les sens sont activés et stimulés!
 
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Et pour aller plus loin : des fiches davantage techniques
 
¹ La vie en coloc, c’est en soi tout un sujet!! Là-dessus je pourrai en conter long… Une prochaine fois? Il s’agit ici de ma 3e coloc à Lyon et pas la dernière (il y aura Collonges ensuite, puis Bron!)