Prendre un tournant radical dans la vie

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Fichiers et médias
Date de création
Oct 26, 2022 02:50 PM
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Crédits Photo par Oxybis
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Elise Cagne, de dos, à l’époque chargée des actions culturelles de la MJC Jean Macé
 
Texte écrit en 2020 à l’occasion de la rédaction de brouillons du carnet de voyage, Éclats de voix, de voies qui paraît en juin 2024.
Il narre la fin de mes études et un bout d’engagement au sein de la MJC Jean Macé. Il évoque aussi quelques pistes personnelles d’introspection et de réflexions.
 
En dernière année à l’université*, j’ai la chance d’explorer une vaste question, grâce à deux amis décalés, un peu fous : Nicolas et Samantha.
✨ Nicolas, un voisin, source d’ambition et d’inspiration métaphysique.
✨ Samantha, une voisine, source d’une eau joyeuse et véritable arabesque en mouvement.
Cette vaste question, assez théorique, tournait autour des notions de démocratie et de spiritualité. Elle m’a amené à effectuer un vrai travail de recherche et à développer mon élan de trouver des réponses pragmatiques et personnelles.
 
À ce moment-là, je suis encore « étudiant ».
Étudiant… avant j’étais « lycéen» , « collégien », bref, j’étais défini par mon statut social... C’est aussi une manière de dire : vase vide. Vase vide pendant... tant d’années !
Éduquer ce n’est pas remplir des vases mais c’est allumer des feux - Montaigne
Dans ce parcours d’études, je me suis senti profondément passif, enfermé dans une posture d’observation, déconnecté des enjeux de société, mais aussi des métiers, du monde professionnel, de la politique, des autres… déconnecté de simples savoirs, pratiques, « élémentaires »...
 
En étant déconnecté… (menu déroulant, cliquer sur le triangle)
—> Que deviennent les savoirs qui consistent à travailler la terre, le pain, à cuisiner, fabriquer des objets, exprimer ses émotions?
—> Quelle place accorde-t-on au long de cette « formation scolaire » aux savoir-faire? et à d’autres champs, comme l’expression personnelle, la créativité? à l’autonomie? à l’esprit critique?
—> À quoi la scolarité aujourd’hui donne-t-elle forme? fait-elle naître des individus passifs ou acteurs d'une véritable citoyenneté?
 
Alors que je me sentais dans cette posture passive, d’observation des autres – des professeurs dont j’attendais le savoir et des autres élèves dont j’attendais des formes de reconnaissance…
Une colère grandissait en moi! Elle m’amenait à prendre du retrait.
Ce retrait a construit chez moi, au fil du temps : une attitude critique, des jugements, de perpétuelles remises en question de moi- même, et l’invalidation des compétences et du statut de mes professeurs, que je refusais de reconnaître.
 
Aujourd’hui, cette capacité à remettre en question ce qui m’environne est à la fois une richesse et aussi, un poids.
Aujourd’hui, je comprends que remettre en question permet, en se disant vraiment les choses et en étant authentique, d’échanger profondément et de se faire des retours constructifs.
Elle permet de faire émerger des pistes de progression ; de provoquer ou d’inviter au changement, au changement de regard, à l’interrogation. Remettre en question, c’est souvent un appel qui part d’un besoin, d’une incompréhension, d’un désaccord, d’un point de vue différent.
 
Mais combien, remettre en question exige de la confiance et de l’écoute dans nos relations!
À quel point, quand celles-ci sont absentes, cette remise en question peut-elle aussi parfois générer de la discorde? de l’incompréhension? des attitudes de repli? de la fermeture?...
Et donc de la souffrance, du malaise, de la distance ?
 
Pour moi, l’acte de remettre en question a toujours été tout un acte de positionnement.
Cela voulait dire « Je n’accepte pas de faire les choses de cette façon ».
Un positionnement qui partait avant tout de moi, mes émotions, mon ressenti.
« Je ne me sens pas bien du tout là » « Je crois ne pas bien comprendre » « Je suis gêné, choqué, quelque chose me dérange » « Je ne sais pas bien quoi, mais je ne peux pas accepter cette situation, de faire les choses comme ça ».
 
Quand cet acte s’est mêlé à la colère, j’en venais à exiger beaucoup, voire beaucoup trop de l’autre. Sous l’effet de la colère, je pouvais en arriver à demander aux personnes autour de moi qu’elles bougent absolument dans ce qu’elles étaient.
J’ai souvent laissé exprimer ma colère pour contester des manières de faire et de penser, avec lesquelles j’étais radicalement en désaccord.
 
La colère a aussi eu la vertu de ne pas laisser intact. Elle s’est exprimée comme un mouvement pour déconstruire.
Avec le recul, je trouve qu’elle a souvent été un appel à construire autre chose, à faire autrement.
—> Mais comment entendre cet appel quand on est en supra-distance de l’autre ?
Le rapport conflictuel, si mal vu et vécu dans notre société, éloigne souvent de l’autre.
 
Dans mon histoire personnelle, mon entourage m’a souvent reproché cette colère, en la jugeant de manière extrêmement sévère.
Ces personnes n’ont pas compris ses symptômes. Ceux-ci ont été parfois, je l’avoue, d’une violence inouïe et physique. J’ai eu besoin de me faire entendre.
Les personnes de mon entourage n’ont jamais pu voir et entendre mes colères comme autant de tentatives de m’extraire de situations extrêmes, dans lesquelles je me sentais bloqué et comprimé.
Elles n’ont pas compris que ma colère provenait d’une source énorme de frustrations.
Quelque part, je dirais qu’elles sont passées à côté de la beauté de la colère et n’ont pas perçu cet appel à construire autre chose.
Un appel à l’aide. Un besoin urgent de changement.
 
Désormais, j’ai fait le choix de livrer mes colères. Je crois les avoir bel et bien déposées dans une pirogue, emportée par le courant de la rivière, allant voguer au loin.
 
Par la suite, quand je me suis retrouvé à nouveau dans des situations conflictuelles, je n’ai pas pu avoir recours, comme d’habitude, à la colère. Il a fallu que je réfléchisse et que j’expérimente d’autres manières de faire.
 
Déposer ma colère m’a donc demandé de me réinventer. Et dans ce cheminement, au début, personne n’était là pour m’accompagner et me montrer un chemin plus doux et plus tranquille.
Ce chemin-là aussi a été semé d’embûches.
 
Désormais, mon rapport au monde et aux autres est plus doux, mes colères sont moins fortes, moins fréquentes, moins intenses.
Mes colères parlent de mon passé : de mon adolescence, de mes premiers pas dans la vie d’adulte et de la fin de ma vie étudiante, ainsi que de mon histoire familiale.
 
À la fin de quatre années d’études post-bac, au bout desquelles j’ai pu aller grâce à des qualités de malignité et d’adaptation, au bout de quatre années à avancer au jour le jour, dans la souffrance et la solitude, je mets mon diplôme de licence dans ma poche et je quitte la prépa, puis l’université, bref ces milieux où je me suis senti profondément mal à l’aise et pas du tout à ma place.
 
Aujourd’hui encore, je garde de solides méfiances envers le domaine de la « formation ».
Se former, c’est aussi prendre la forme que d’autres projettent sur nous... Se former, sans terrain d’expérience, quelque part, c’est être « pré-formé », être formé sans contexte ni terrain d’application.
La formation, dans mon vécu personnel, évoque davantage ce moule scolaire, normatif, dans lequel je me suis senti nié, moi et mes particularités.
 
Ainsi, ce moment de grâce et de recherche, « démocratie et spiritualité » m’a invité à découvrir des manières alternatives de faire : faire politique, faire groupe, faire village, faire ensemble...
Et m’a laissé avec cette question : comment faire ensemble?
Il a contribué à me ré-axer sur les choses bonnes pour moi et qui me correspondaient.
 
À la fin de cette journée, inscrite dans le cadre du festival de la MJC Jean Macé, je prends la décision d’arrêter mes études. J’entame alors un service civique.
C’est une grande page qui se tourne dans mon histoire personnelle !
Et le début d’un nouveau cycle... 🌱
 
Le chemin continue et sera à l’avenir, plus doux, plus apaisé.
Aussi, beaucoup plus militant et « décalé ».
 
*Après deux années d’études en préparation littéraire, Hypokhâgne et Khâgne, j’ai poursuivi et terminé mes études à l’université Lyon 2, en licence Lettres Modernes, que j’ai obtenue. J’ai profité de cette année pour m’engager à la MJC Jean Macé et donner un coup de main!
 
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